Appel à projets 2022
Changements climatiques, désastres naturels, drames humains : les temps contemporains sont aux catastrophes. Pendant longtemps, et aujourd’hui encore, les catastrophes ont souvent été justifiées en termes providentiels, avant que le « désenchantement du monde » ne conduise l’humanité à les interroger sous des angles nouveaux, moraux (pourquoi ?), mais aussi savants (comment ?), historiques (quand ?) et affectifs (qui ?). Ces questions n’ont pas seulement été posées dans des discours et des théories ; elles ont également nourri un véritable imaginaire catastrophique, s’incarnant dans des lieux et des représentations. Des lieux naturels et urbains, car le désastre marque toujours un territoire en l’inscrivant dans le temps présent et dans l’événement : la terre (éboulements et séismes), le feu (incendies et éruptions volcaniques), les eaux (inondations et raz-de-marée), les airs (épidémies, invasions d’insectes et contaminations radioactives), le ciel (orages et tempêtes, comètes et éclipses), la ville (ravages de la guerre, expropriations, destructions et rénovations urbaines, urbanisation des faubourgs et disparition des campagnes) et les activités humaines liées à ces lieux (effondrements d’édifices, accidents et collisions). Des lieux, donc, mais aussi des représentations : des images fixes (peintures, estampes) ou mobiles (spectacles pyrotechniques et naumachies, films et jeux vidéo), des univers sonores (bruits des jeux d’eau, des fontaines, des grottes et des cascades, dans les jardins et les villes, musiques et soundscapes), où le désastre est figuré, projeté, voire dépassé, en particulier, pour la Renaissance, dans un cadre narratif chrétien — Loth et ses filles avec la destruction de Sodome et Gomorrhe, l’Apocalypse, etc.
Ces paysages-catastrophes conservent les traces réelles ou imaginaires du désastre ; mais ils engagent aussi une autre manière de penser, de percevoir et de ressentir les bouleversements naturels et humains, qui ne sont plus mis à distance par le langage, mais pris dans la matière même des choses. Ils mettent en scène l’angoisse « catastrophiste », face aux destructions ou à l’imminence de nouveaux désastres, comme les espoirs placés dans la régénération du monde et les lendemains qui chantent. Ils suscitent la méditation sur les ruines sublimes, auxquelles une beauté est paradoxalement conférée, comme ils catalysent une nouvelle conscience patrimoniale, par l’appropriation du paysage détruit. Ils construisent l’espace d’un débat démocratique, en conférant une visibilité à la mémoire traumatique des désastres naturels et humains (le Pérou vice-royal) et des destructions (Dresde), mais manifestent aussi le pouvoir par l’invisibilisation ou la minimisation des dévastations, en particulier dans un contexte autoritaire ou colonial.
Dans le sillage des Disaster Studies, notre projet fait le choix d’une perspective globale et de la longue durée. Notre enquête commence au XVIe siècle, avec l’apparition du mot catastrophe dans la langue française, et se poursuit jusqu’aux temps les plus récents, marqués par des bouleversements environnementaux et climatiques. Il abordera le paysage catastrophe dans toute sa diversité thématique, géographique et historique — paysages sublimes, « apocalypses urbaines », Trümmerfilme, films et jeux « apocalyptiques » ou « post-apocalyptiques », disaster et nuclear movies, musique bruitiste et noise music, etc. —, en mobilisant de nombreuses sources différentes — peintures, estampes et photographies, architectures, plans urbains et cartes, jardins, ex-votos, guides et récits de voyages, ego-documents, correspondances, etc.
Participants
UdeM : Richard Bégin – Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques; Denis Ribouillault – Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques, Faculté des arts et des sciences
ULB : Christophe Loir – Département d’Histoire, Arts et Archéologie, Faculté de Philosophie et Sciences sociales
UNIGE : Jan Blanc – Département d’histoire de l’art et musicologie, Faculté des lettres